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Actualités, jeudi 10 février 2005, première
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Sauvé des eaux
Émilien II fait naufrage entre les Bermudes et Saint Martin
Le Shawiniganais Mario Allaire a vécu l'enfer
d'une mer déchaînée entre les Bermudes et les
Antilles. Martin Francoeur, Shawinigan -
"La mort, j'y penserai quelques minutes avant
de mourir. Jamais je n'ai eu le réflexe de m'arrêter
et de penser à la mort alors que j'étais dans le bateau.
Je me suis par contre demandé comment ça se faisait
que je ne pensais pas à ça."
C'est un paquebot transportant
du charbon qui les a sauvés des eaux tumultueuses d'une mer
déchaînée, après neuf heures passées
à bord d'un Zodiac flottant au gré des vagues.
C'est tout ce qu'ils avaient réussi à récupérer
des débris du voilier Émilien II, une embarcation
de 43 pieds qui devait transporter le couple formé de Claude
Allard et de Suzanne Quinn des Bermudes jusqu'à St. Martin,
dans les Antilles. Mario Allaire et Ernest Gallien avaient été
embauchés comme membres d'équipage pour convoyer l'embarcation.
Mario Allaire, un retraité de l'enseignement, s'adonne à
la voile depuis deux ans. Il voulait naviguer cet hiver, trouver
une activité qui lui permettrait de garder le contact avec
l'eau. Le 13 janvier dernier, il trouvait cette petite annonce d'un
couple de Montréal qui cherchait quelqu'un pour faire le
trajet Bermudes-St. Martin avec eux et assurer le bon déroulement
du voyage. ( note de Louis Charbonneau : Ernest Gallien est
un navigateur aguerri, il navigue depuis plus de 30 ans, il a navigué
de par les Grands Lacs, fait quelques traversées de l'Atlantique,
dont une en solitaire sur un Tanzer 26 qui le conduisit en Ireland
).
Pour lire l'histoire du naufrage D'Émilien 11

Voir le naufrage d'Émilien 11
Initialement, le couple et les deux membres d'équipage fraîchement
recrutés devaient quitter les Bermudes le 22 janvier, mais
en raison du mauvais temps, le départ a été
retardé. Le voilier artisanal de 43 pieds fait de bois et
recouvert de fibre de verre a finalement pris la mer le 1er février.
"Nous avons quitté la baie de St. George et vers 16
heures, il s'est mis à venter. Un vent arrière très
fort soufflait et nous, on était déjà assez
loin des côtes. Le bateau était très dur à
barrer. À 21 heures, on a attaché la barre à
roue et on s'est laissé dériver", explique Mario
Allaire. La nuit a été longue, mouvementée
mais ironiquement confortable pour lui. "Malgré les
vents forts, ça dort assez bien. C'est le lendemain matin
que ça a été moins drôle", remarque-t-il.
Vers 8 heures, un terrible bruit s'est fait entendre. Le vent venait
de faire une rotation de 180 degrés à l'embarcation,
qui est tout de même restée à flot. "Suzanne
était couchée sur la banquette à bâbord
et dans le temps de le dire, elle a été projetée
à tribord. Elle est passée par-dessus la table. C'est
probablement là qu'elle s'est fracturée trois côtes",
raconte M. Allaire. Il n'y avait plus d'électricité
à bord. Le moteur ne pouvait plus être démarré.
Les passagers ont récupéré une batterie pour
au moins assurer le fonctionnement d'une pompe qui devait sortir
l'eau de la cale toutes les vingt minutes. Une fissure quelque part
laissait l'eau s'infiltrer à bord.
Vers 10 heures, c'était au tour de Mario Allaire de prendre
la barre. "Ça faisait cinq minutes que j'étais
sorti. J'étais à tribord et j'ai regardé derrière
moi. Tout ce que j'ai vu, c'est un immense mur d'eau.Puis, plus
rien !" L'imposante vague de fond venait de faire une sorte
de croc-en-jambe à la quille du voilier."Quand j'ai
ouvert les yeux, j'avais le bateau par-dessus moi. Je voyais passer
des débris sortant du fond du bateau. Je réalisais
que c'était le pont qui s'était délaminé",
raconte-t-il encore ému. "L'eau était d'un bleu-vert
tellement beau", trouve-t-il le moyen d'ajouter. Le bateau
est finalement revenu à l'endroit. C'était le désordre
le plus total à l'intérieur, où se trouvaient
les trois autres passagers. Il n'y avait alors plus d'autre chose
à faire que de prendre l'embarcation de type Zodiac qui se
trouvait sur le pont du voilier. Les quatre naufragés ont
décidé d'abandonner le voilier. "Ça faisait
même pas cinq minutes qu'on était monté à
bord du Zodiac qu'il y avait trois pieds d'eau dans la cale du voilier.
Cinq minutes après, l'eau avait passé par-dessus le
pont. En dix minutes, le bateau a coulé. On n'a pas pu rien
prendre", relate Mario Allaire. Pas même le sac de survie
étanche qu'ils avaient minutieusement préparé
la veille et dans lequel ils avaient mis leurs papiers, des fusées
de détresse, de l'eau et un peu de nourriture. "On s'est
laissé dériver. C'était impossible de savoir
dans quelle direction on allait."
C'est la balise de détresse qui leur aura finalement sauvé la vie.
Un signal a aussitôt été envoyé par satellite
à la garde côtière américaine, qui a
alors mis en branle des mesures de repérage et de sauvetage.
Pendant ce temps, des vagues de 15 mètres frappaient le Zodiac
et laissaient quelques pouces d'eau dans le fond de celui-ci, ce
qui a au moins créé un lest qui maintenait l'embarcation
à flot. Des vents de plus de 100 km/h soufflaient en même
temps. Peu après 17 heures, les rescapés ont vu passer
un avion C-130 de la Garde côtière américaine.
Quelques minutes plus tard, l'avion est repassé et laissait
tomber des fusées éclairantes pour positionner le
Zodiac à la dérive.
C'est finalement un cargo de la compagnie Egon Oldendorff, le M/V
Yeoman Brook, qui s'est approché du Zodiac. Le navire chargé
de charbon faisait le trajet entre la Bolivie et Halifax. Mario
Allaire se souvient de l'avoir aperçu, au loin, avant que
l'avion se montre le nez.
Non sans difficulté, les passagers ont réussi à
monter à bord du Yeoman Brook. En vingt minutes, peu avant
20 heures, les quatre naufragés étaient sains et saufs.
"Une fois rendu sur le pont, j'étais incapable de marcher.
Je ne sais pas pourquoi, mais quatre personnes m'aidaient. Ils nous
ont amenés à l'infirmerie, asséchés,
donné du thé chaud et sucré. J'en ai bu cinq
tasses. C'était tellement bon", se souvient Mario Allaire.
Le bateau les a finalement ramenés jusqu'à Halifax.
À bord, les membres de l'équipage avec en tête
le capitaine Alatoliy Gudz, étaient semble-t-il très
heureux de ce qu'ils venaient d'accomplir. Des liens d'amitié
se sont rapidement tissés.
Le Yeoman Brook est finalement arrivé en Nouvelle-Écosse
lundi matin, à 9 heures, soit une journée et demie
plus tard que prévu, en raison, on s'en doute, de la mer
agitée. Une fois à Halifax, les quatre passagers se
sont rendus à l'hôpital, où les attendaient
des membres de leurs familles. Mario Allaire est finalement rentré
à Montréal mardi en fin d'après-midi, puis
à Shawinigan en soirée.
L'homme a beau ne pas avoir une seule égratignure, mais cette
aventure
l'a profondément marqué. Autrement, disons ...
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Courtoisie de:
LE RÉSEAU DU CAPITAINE
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