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La mort de ma mère
Mars 1996, Nassau
Je marche sur le quai en direction du téléphone, je suis à Nassau, aux Bahamas. On vient de me dire qu'on me cherche sur les ondes courtes depuis
2 jours. Je dois téléphoner à mon fils, je
sais que c'est grave, ma compagne? mes enfants?

Le téléphone me confirme la gravité de l'événement:
c'est le décès de ma mère, 91 ans, elle a mené
une bonne vie... et je n'ai pas le temps de me rendre à Montréal,
l'enterrement a lieu demain. Ma sur habite Nassau, elle est
déjà partie pour les cérémonies d'usage.
Son mari, John, m'attend, nous passerons la soirée ensemble.

Les souvenirs montent ... Juliette au printemps sur le Capitaine Nemo, voilier familial
Je dois d'abord trouver un mouillage et m'occuper de mon équipage.
Mes trois gars achèvent leurs deux semaines à bord: il y
a eu beau temps et bon vent au début, puis absence de vent
par la suite, de la bonne pêche, de la plongée... mais
ils sont en manque de... probablement de femmes, n'ayant trouvé
entre Georgetown et ici, que quelques îles désertes, bars vides,
églises pleines et mères de familles nombreuses. Ça
fait déjà 3 jours qu'ils me cassent les oreilles avec
leurs futures sorties en ville, les bars, les femmes... Je n'ai
vraiment pas l'âme à la chose.

Entente convenue, nous ferons bande à part. Ils iront fêter,
j'irai souper avec mon beau-frère. Ils garderont le VHF portatif,
je rentrerai tôt. Ils n'auront qu'à m'appeler et j'irai
les chercher au «dinghy dock».
Soirée tranquille avec le beau-frère, conversation
d'usage... John vient me reconduire à la marina, il est 22h15.
Surprise: plus de gonflable! Mes fêtards n'ont pas fêté
tard... Merde ! Ils ont le VHF, et personne sur les bateaux. Je marche
jusqu'à l'hôtel le plus proche, on appelle au VHF,
les hôtels en ont tous pour appeler les taxis, pas de réponse!
Je retourne à la marina, ils ne sont toujours pas là !
J'attends quelques minutes, ils vont sûrement revenir me chercher...
encore une petite marche à l'hôtel, rien... Un aller
et retour, toutes sortes de propositions : des montres, de la drogue,
des femmes ... des chiens qui jappent... et j'ai oublié ou perdu
le numéro de téléphone de John, je n'ai pas
un sou, et je n'arrive pas à retrouver le chemin pour me
rendre chez lui... un dernier retour à la marina, elle est
barrée! Je m'étends sur le bord du quai, la tête
sur un bout de bois et je décide d'y dormir.
"Man ! tu peux pas rester là, c'est dangereux."
C'est le gardien de nuit de la marina, il m'invite à m'étendre
à l'intérieur des barrières sur le quai, j'y
serai en sécurité. Je suis sur le point de m'endormir,
je sens qu'on me couvre: c'est un grand carton pour me tenir au
chaud. Je m'endors, je crois que je rêve: c'est une histoire
de bon samaritain qui couvre l'indigent...
Une petite tape sur l'épaule: "Hey, patron, tu vas
pouvoir retourner à ton bateau, la police va t'y conduire."
J'ai le goût de faire un rapport de vol de gonflable, faire
du trouble... "Thank you very much..." Il est 3h15, et
tout le monde est à bord... Le seau d'eau me regarde, je
n'ai qu'à le détacher, le remplir d'eau de mer et
les... Non, je vais me coucher, je verrai demain
J'apprendrai qu'ils avaient poussé le mauvais bouton du
VHF, qu'ils avaient présumé que je coucherais chez
le beau-frère, ou je ne sais trop...
Si vous voulez savoir la fin de cette histoire, vous n'avez qu'à
demander à Gaston, Michel ou Pierre. Et moi, j'ai eu le plaisir
d'être bien dorloté par un bon gardien de nuit.
Louis Charbonneau
Le Roi-Soleil
LES CARNETS DE BORD DU ROI-SOLEIL voir lien
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