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Tout petit extrait de la biographie de Louis Charbonneau
En voie d’édition
Merci à la vie de s’être laissée mordre à pleines dents
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Pour voir le film sur l'intracoastal cliqez sur https://www.youtube.com/watch?v=kTFyOsQsGdM

Rêve reporté Eurêka : les virées vers le sud ne sont pas toujours au rendez-vous
Vouloir terminer le film sur l'Intracoastal, cette voie navigable le long de la côte est des États-Unis, à partir de la baie de Chesapeake jusqu'à la Floride a failli m'amener dans une aventures compliquée. ll fallait à tout prix que je complète ce tournage que j'avais débuté quelques années auparavant. Tellement pris par cet objectif, j'en ai oublié les principes de base qu'il faut respecter avant d'entreprendre un voyage au long cours. Partir en mer pour un séjour à la voile représente est une grosse implication. C’est le rêve de plusieurs, mais il y a une foule de préparatifs à considérer. Vous trouverez dans ce texte quelques voies de recherches. Elles ne sont aucunement limitatives, bien maîtriser la voile est un élément. D’abord un bon apprentissage des manœuvres dans le contexte de la vie à bord. Rêver, oui, mais faut-il avoir vécu un séjour qui montre comment s’organise la vie sur un voilier : espace restreint, promiscuité, ordre, capacité de partager, de vivre, mouvement du bateau, mouvement du bateau, promiscuité...
Et avoir un bon bateau bien équipé, un bon équipage, des gens en bonne santé : un départ pour le Sud à partir du Québec avant les glaces ; c'est un long séjour, pas question de revenir avant le printemps ...
Quelque éléments ...
Connaître la navigation côtière, avoir la base qu’il faut pour la hauturière.
Savoir effectuer un minimum de travaux mécaniques
Maîtriser les lectures de cartes
Être capable de faire le point sur la carte
Pouvoir maîtriser un GPS portable, y placer les coordonnés (way point)
Connaître des éléments de météorologie : savoir lire un baromètre, identifier les nuages menaçants.
Avoir une connaissance de climatologie :
Savoir interpréter les cartes des courants marins et j'en passe etc.. |
Faire le tour de tout ce qu'il faut connaître n'est pas l'objectif de cet érit; il est plutôt de vous montrer qu'il ne faut pas se laisser prendre par des désirs ancrés qui nous empêchent de voir la réalité. La patience aura porté fruit comme vous le verrez.
Lundi matin, nous nous rendions, direction Rouse’s Point, rejoindre le voilier Eurêka, voilier en acier de plus de cinquante-six pieds. Nous étions piteux, nous savions que nous ne devions pas partir. La veille, l’ami Jean-Paul était venu souper avec nous, il devait venir nous reconduire la veille, en soirée, au lieu de départ, mais il pleuvait à boire debout ; nous savions qu’Eurêka était échoué à l’entrée de la marina à Light House Point, que Guy et Martine étaient en sécurité, pas de vent, des prévisions acceptables et que nous n’aurions pu rien faire pour eux à ce moment-là. Nous avions donc décidé de reporter notre arrivée au lendemain très tôt et de nous déboucher une deuxième bouteille de vin. Jean-Paul, notre ami sans condition, nous a parlé de notre départ, de son contexte. L’état du bateau est venu vite sur le tapis, s’en est suivi l’état et les connaissances de l’équipage. Je l’écoutais, je me rappelais de son apprentissage à lui, de la multiplication du nombre d’heures de cours que j’ai dû lui donner pour manœuvrer le Granpion 26 acheté en copropriété. Aucun temps de formation alloué à Guy, et moi, j’accepte de partir pour le Sud, à bord de… je n’avais même jamais navigué avec lui… Je n’avais jamais fait d’essai sur son bateau… Je venais de mettre de côté tous mes principes appris avec l’expérience : «jamais entreprendre un grand voyage sur un bateau que je ne connais pas, assurer mes arrières, etc». Décidément, j’avais la tête troublée ! Sacré Jean-Paul ! Il m’a mis le nez dans la réalité, tout s’est allumé. Beaucoup de responsabilité : la condition de santé de Guy : problèmes aux reins, il était sur la dialyse, quatre-vingt-dix caisses avaient été chargées, plusieurs sessions par jour. Le manque d’expérience, il ne connaissait pas son bateau, et moi non plus. C’est beau d’avoir l’occasion d’aller tourner des images, mais à quel prix ? Qu’arriverait-il si le bateau nous lâchait, vérité pour tous les bateaux, mais Eurêka ?! Et si moi j’étais contraint à revenir, s’il était dans l’incapacité de continuer son voyage. «Tout ce qui peut arriver dans des conditions semblables». J P venait de river le clou. Guy et Martine avaient bien appris à négocier avec l’état de santé du capitaine, ils s’étaient bien préparés pour y faire face, médicaments, équipement de dialyse, les bons numéros de téléphone. Je crois que c’est ça qui nous avait trompé, nous n’avions vu que de la poussière. Les travaux sur le bateau allaient bon train, Guy et Martine avaient travaillé sans arrêt depuis l’achat du bateau, des amis, tous leur donnaient un coup de pouce. Il fallait rendre ce rêve réalisable et tout le monde mettait la main à la roue. Les échéances étaient rencontrées, les mâts enlevés, les réparations de dernières minutes, les imprévus se corrigeaient. On y croyait. Et moi, j’irais chercher les images manquantes pour ce film.

Pour en connaître plus sur l'Intracoastal
Au début, nous devions les accompagner à partir de la Caroline du Sud, notre objectif, aller croquer les images pour un documentaire. Ensuite, il m’avait convaincu de faire le canal direction New York … Et puis, pourquoi pas tout le trajet, il acceptait de me fournir un ordinateur portable. J’aurais le temps de travailler à mon aventure sur la voie navigable, direction Sud. Aveuglé par l’enthousiasme de tous et mes désirs personnels, j’avais oublié/mis de côté qu’il n’avait pas l’expérience requise : il avait fait un peu de voile, pas de navigation, n’avait pas vécu sur son bateau, ne connaissait aucun de ses caprices de navigation, n’avait monté ses voiles qu’une fois et par temps doux et avant même de l’avoir acheté. Moi, l’expert (sic !), je montre aux gens à maîtriser leur bateau, à vivre dedans, à le voir se comporter par petit et gros temps, à écouter leurs moindres caprices, à apprécier leurs qualités, à déjouer leurs défauts, à apprendre à ne pas sauter des étapes, à leur montrer à prendre des bouchées qu’ils peuvent digérer. Moi l’expert, je me suis laissé avoir, l’élan était trop rapide, l’énergie déployée, la condition de santé et la supposée dernière chance de réaliser son rêve. La réalité, cette odyssée vers les mers du sud serait un échec et il fallait trouver un moyen qu’elle n’ait pas lieu. Comment s’y prendre ? Parcourir toutes les avenues, en éliminer, les revoir. Il y avait bien cette rumeur du lac dont m’avait parlé Guy en m’annonçant son échouement, à savoir qu’une des écluses du canal Champlain ne pouvait plus accepter des bateaux à six pieds de tirant d’eau, mais il fallait la vérifier, j’y avais vu, elle n’avait aucun fondement, ça aurait été trop facile. Donc, il n’en avait que deux, la vraie avenue ou l’autre, un mensonge pieux quelconque. Il fallait surtout que ce soit envisagé comme un voyage reporté à plus tard. Il ne devait pas abandonner son projet, mais bien se préparer à le rendre réalisable à un autre moment… Réparer sa santé, améliorer ses capacités de navigateur…
Bon ! Le voilier était toujours échoué : aller au bout du quai, leur faire signe, attendre. Il pleuvait encore, ils attendaient un bateau dépanneur. Il est venu, quelques coups de moteur, il fut délogé. Ils arrivèrent au quai, 350$ en moins. Un capitaine qui reprenait espoir… et moi qui ne savais toujours pas comment lui annoncer qu’il ne devait pas partir. Le bateau amarré, le plein de diesel, de toutes manières il fallait emplir les réservoirs pour hiverner le bateau. Il me fallait agir … Qu’est-ce qui me bloquait ? Où était la voie de la raison ? … Nicole me faisait signe qu’on devait continuer, partir avec eux ; elle qui d’abord avait eu des hésitations face au projet. Me voilà dépassé, mais je savais que je ne voulais plus partir, je ne pourrais jamais mettre un terme en cas de problèmes sérieux. Je n’aurais jamais dû les rencontrer, me laisser embarquer dans leur rêve… des idées morbides me passaient par la tête. Moi et ma parole donnée … Il fallait que je bouge …
Martine attacha l’amarre, je la regardais ...
- Ça serait bien qu’on soit en début de septembre, il aurait fait chaud… on aurait eu le temps de … Je ne savais plus quoi dire, les mots me manquaient.
- Si ce n’était que de moi, reprit-elle…
Et elle commença à nous dire qu’elle se sentait mal à l’aise de partir, qu’ils n’avaient pas la préparation requise … Je l’écoutais … la porte était ouverte, je lui fis part de mon état d’âme et aussi de mon expertise face à la situation … J’avais une alliée, mais je me rendis compte rapidement qu’elle n’avait aucunement fait part de ses craintes à Guy.
Les difficultés s’étaient multipliées et toujours il y avait fait face : il avait passé le pont de Lacolle à temps, il avait mouillé face au quai des douanes, la marina des Alizés ne pouvant les accommoder. Une nuit de gros temps, un appel à la maison, retourner au bateau et l’accompagner dans sa fuite à la marina de Lighthouse, même si ça voulait dire que l’ami de service dans toutes les réparations, persona non grata aux USA, ne pouvait plus être à poste… Leur retour au Canada, un espace s’étant libéré au quai des Alizés… encore déplacer les autos, d’autres réparations, le chauffage à l’huile, récemment posé, risquait de nous asphyxier. Même le chien de compagnie, Noirôt, ce beau gros chien noir, sympathique comme son maître, ne savait plus où donner de la queue, il en avait perdu l’appétit … un second départ pour les USA, … ils avaient enlevé les dernières amarres au même moment que les derniers quais avaient été retirés … La pluie, la brume, les bouées de Lighthouse enlevées, Eurêka échoué, … Et toujours l’ami Guy gardant le moral …
L’annonce de l’annulation fut difficilement acceptée…
La journée était superbe, petit vent sud-ouest, le moteur tournait à 1600 tours, nous filions 9 nœuds, du moins, c’est ce que nous croyions, le loch ne fonctionnait plus (hum !), l’échouement l’avait neutralisé. Il y avait toujours le GPS, mais il ne répondait pas. C’est vrai, j’aurais pu sortir le mien, mais… Je voulu descendre le chercher, je décidai de mettre le pilote automatique, il ne s’enclencha pas. Le bateau garda une direction stable, nous étions seuls sur le lac, je m’exécutai. À l’intérieur, la soupe mijotait, Martine ravalait, Guy faisait sa dialyse, le précieux liquide coulait-il assez vite pour remplacer celui perdu par ses larmes à demi perceptibles ? Je retournai à la roue sans demander les raisons du non fonctionnement du pilote. Les mâts étaient couchés, Eurêka n’avait plus l’air d’un voilier qui part pour le Sud, mais bien d’un oiseau blessé, condamné à passer l’hiver sous nos latitudes. Il n’avait pas été évident de mettre Guy devant la réalité …
Guy a pris la roue, sa tuque tachée de peinture blanche, il regardait droit devant, direction franc Sud ! Il dégustait la soupe de Nicole maintenant bien réchauffée…
La marina à Treadwell Bay nous attendait. Guy semblait accepter maintenant que le voyage n’était pas réalisable à ce moment-là et qu’un été à se familiariser avec son bateau au lac Champlain rendrait son projet du Sud, faisable. Reporter l’odyssée à l’an prochain leur permettrait de les protéger d’une écoeurantite évidente : un problème de santé, se battre contre les faiblesses du bateau tout en apprenant à apprivoiser les notions de base de navigation au long cours, à se familiariser à la voile, à apprendre à vivre à bord… Ils venaient d’éviter une aventure vouée à l’échec et de détruire deux carrières de plaisancier.
Deux marinas seulement peuvent entreposer un bateau de 35 tonnes : Shelburn, un peu loin pour y travailler au printemps, et Tread Well Bay, à côté de Deap Bay. Il fallait faire vite, l’opérateur du lift quittait pour de bon en fin de journée.
Là aussi, les bouées avaient été enlevées. Il n’était pas question d’entrer sans aide. Quelques mots échangés avec un employé qui ne voulait pas m’accompagner dans le gonflable pour m’aider à donner la route assez profonde pour Eurêka. Menace d’aller hiverner ailleurs, du tordage de bras. Le bateau fut amené au puits, monté, remis à l’eau pour replacer les sangles. Eurêka avait le poids limite…
Le bateau fut enfin dans les airs, il aurait occupé une bonne partie de l’image si j’avais osé sortir ma caméra. En dessous, à l’arrière plan, Martine, Guy et Noirôt, étaient debout sur le quai de ciment, collés les uns aux autres, laissant des espaces vides de chaque côté, représentation indéniable de leur for intérieur. Ils le regardaient, le ciel venait de se couvrir. Nicole, à côté de moi, s’était retournée ; je savais qu’elle cachait ses larmes. Le bateau fut placé en calle sèche. Une volée d’outardes s’envolât vers le Sud…
La vidange de la tuyauterie, l’antigel pour hiverner le système du moteur qui refusait de partir, en espérant que la pompe de refroidissement ait réussi à faire cheminer le précieux liquide malgré la panne, c’était à suivre …
Ensuite, vider le bateau de ce qui était périssable, y compris son précieux chargement … Deux planches 2X6 collées, à l’arrière du bateau, appuyées sur le pare-chocs du camion. Martine dans la cabine passait les caisses de dialyse une par une à Guy ; il me les remettait, j’étais en haut de l’échelle, je les laissais descendre sur cette glissade improvisée. Nicole les attrapait, les empilait. Quatre-vingt-dix caisses de cet irremplaçable liquide qui gardait notre ami en vie. Quelles images j’aurais pu faire : les mimiques de Martine, Guy avec son air d’écolier à qui on avait enlevé son jouet. Moi, contorsionné, les laissant glisser, inquiet, Nicole attentive à amortir le choc de l’arrivée. Quelle belle séquence à mettre à l’écran. Était-ce la pluie, le respect de la situation ? Je n’avais tout simplement pas le cœur aux images, mais elles sont restées éternellement fixées dans ma mémoire...
Il me semblait avoir répété cette petite phrase des milliers de fois depuis trois semaines. «Mais que diable allais-je faire sur cette galère ?»; séquence connue dans une pièce de Molière. Une bonne œuvre, une passe pour aller compléter mes images sur l’Intracoastal pour un film en devenir* ? Je ne cherchais qu’un embarquement pour la Georgie et la Floride ? Rendre service ? Aider la réalisation d’un rêve ? Allons-y voir ! ».
Le souper fut le bienvenu, la journée avait été longue. Dans ce petit restaurant, Guy était devant moi, sa tuque, placée trop haute sur la tête, ses yeux cernés, son sourire un peu triste lui donnait un air de Charlot … Martine parlait d’aller au souper de la CONAM, on en disait beaucoup de bien ; on parlait du film Elvis Gratton, de la vie simple, … Je ne saurai jamais ce que Guy pensait réellement de tout cela. M’en voulait-il ? Était-il soulagé ? Deux projets à reporter, le leur et le nôtre …
Épilogue.
L’hiver suivant, Guy fut appelé pour une greffe, opération réussie, un été de voile et… son aventure dans le sud enfin vécue…
Quelques années plus tard, j’ai pu aller chercher les images manquantes pour terminer mon film sur l’Intracoastal
Tout vient à point à qui sait attendre.
*Le film «L'Intracoastal, une voie navigable» a été édité en 2008

Pour voir le film sur Youtube voir https://youtu.be/kTFyOsQsGdM

Le voilier Eurêka
Louis Charbonneau
Le Roi-Soleil
LES CARNETS DE BORD DU ROI-SOLEIL
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